Vendre en viager : la formation du contrat
Extrait du Journal mensuel de la SOCAF L’Activité Immobilière n° 773 – Octobre 2016 par Olivier BEDDELEEM, Professeur associé à l’EDHEC Business School
Vieillissement de la population, augmentation du coût de la vie, difficulté d’acquisition d’un bien immobilier au prix de marché….Tous ces facteurs font du viager un contrat incontournable en 2016. Mode d’emploi…
C’est en effet un domaine qui présente de nombreux avantages pour les agents immobiliers et leurs clients. Créé au XIIIème siècle, le viager connaît un regain d’intérêt. Raison de plus pour s’y intéresser de près. Le viager consiste en un contrat par lequel un débiteur, s’engage vis-à-vis d’un créancier à verser de manière périodique une sommes, des « arrérages » jusqu’au décès de celui-ci ou de la personne sur la tête de laquelle elle est constituée.
L’INTÉRÊT DU VIAGER
Le contrat de viager présente un intérêt à la fois pour le vendeur et pour l’acquéreur.
L’intérêt pour le vendeur
Pour le propriétaire d’un bien, vendre celui-ci en viager lui permet de toucher un revenu sans perdre totalement l’usage du bien. Les usages sont multiples. En voici quelques exemples. Le vendeur peut avoir besoin du bouquet pour financer une dépense personnelle ou des travaux dans le logement, tout en continuant à habiter le bien. Il peut souhaiter conserver l’usage du logement afin de le mettre en location et percevoir un revenu. Une rente viagère peut financer son séjour en maison de retraite. C’est aussi une opportunité pour une personne qui ne peut plus payer ses dettes ou ses charges de copropriété, d’éviter la saisie du bien, ou pour un bailleur de réparer son immeuble. Le bouquet permet en effet de payer cette dette et le vendeur peut continuer à habiter le bien ou le louer.
L’intérêt pour l’acquéreur
L’intérêt pour l’acquéreur est bien entendu financier. Premièrement, la valorisation d’un bien vendu en viager est moins élevée que celle d’un bien vendu hors viager. Deuxièmement, l’acquéreur ne devra payer que le bouquet au moment du contrat. Il pourra verser la rente petit à petit. Cela peut ainsi être un bon moyen d’économiser en vue de la retraite. Bien entendu, l’aléa lié au contrat permet également une chance de gain en cas de libération prématurée des lieux.
COMMENT SE FORME LE VIAGER
Un contrat
Le viager est un contrat. A ce titre, il doit remplir toutes les conditions de formation d’un tel contrat. Chacune des parties doit être capable de contacter, il faut un objet et une cause valables. Il faut également un consentement absent de tout vice. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 12 mai 2016 (pourvoi n° 15-18996) dans lequel elle a vérifié qu’aucun dol n’avait été commis par le vendeur vis-à-vis de l’acheteur. Le viager peut être conclu en contrepartie du versement d’un prix. Il peut aussi être conclu à titre purement gratuit, par donation entre vifs ou par testament. Il faudra alors respecter les formalités légales liées à cette donation. S’agissant d’une vente immobilière, elle est soumise à toutes les spécificités d’une telle vente telles que la protection du logement familial.
Sur une ou plusieurs têtes
La rente viagère peut être constituée sur la tête du vendeur. C’est le cas le plus courant. La rente viagère peut aussi être constituée sur la tête d’une autre personne, qui n’a pas le droit d’en jouir. La rente viagère eut enfin être constituée sur plusieurs têtes. Le contrat pourra alors prévoir la conséquence du décès, soit par une clause de réservation totale ou partielle au profit du survivant, une réduction après le décès d’un crédirentier, ou encore une différenciation des bénéficiaires. Il peut arriver que la rente soit stipulée au profit de conjoints. Dans ce cas, le code civil prévoit que la rente est stipulée réversible au profit du conjoint survivant. La rente viagère peut être constituée au profit d’un tiers. Le propriétaire du bien n’est pas donc nécessairement le bénéficiaire de la rente.
UN CONTRAT ALÉATOIRE
Ce qui distingue le viager des autres contrats immobiliers est l’aléa. Il faut en effet, pour conclure un contrat de viager, une chance de gain et un risque de perte. C’est la raison pour laquelle l’article 1974 du Code Civil prévoit que le bénéficiaire de la rente doit être vivant au moment du contrat. A défaut, le contrat ne produit aucun effet. Tel est le cas aussi si la rente est stipulée au profit d’une personne atteinte d’une maladie et qui décède de celle-ci dans les 2 jours de la signature du contrat (article 1975 du Code Civil). Dans un arrêt du 18 décembre 2002 (pourvoi n°00-19371), la Cour de cassation a précisé que la date à prendre en compte est celle de l’acte authentique notarié et non pas celle de la promesse. Un arrêt du 10 novembre 1992 (pourvoi n°90-21417) a pour sa part décidé que le début d’exécution par le débirentier qui verse une première mensualité ne supprime pas la possibilité de solliciter la nullité si le crédirentier décède dans les 21 jours de l’acte notarié. Dans son arrêt du 21 octobre 2009 (pourvoi n°08-13843), la Cour de cassation a vérifié l’existence de cet aléa. De même, dans un arrêt du 16 avril 1996 (pourvoi n°93-19661), un médecin avait acquis un bien immobilier auprès de l’une de ses patientes. Celle-ci est décédée deux mois plus tard. Ses héritiers avaient demandé la nullité du contrat mais le médecin leur opposait l’article 1975 et le fait que la crédirentière était décédée plus de 21 jours après la conclusion du contrat. La Cour de cassation s’est fondée sur l’exigence de l’aléa pour annuler le contrat. En effet, comme l’indiquent les juges, « l’article 1975 du Code civil n’interdit pas de constater, pour des motifs tirés du droit commun des contrats, la nullité pour défaut d’aléa d’une vente consentie moyennant le versement d’une rente viagère, même lorsque le décès du crédirentier survient plus de vingt jours après la conclusion de cette vente ». En analysant les faits de cette affaire, les juges ont pu décider que « le praticien, constatant l’état de déficience extrême de la malade dont il avait suivi l’évolution, avait été en mesure de prévoir l’imminence de son décès, de telle sorte que le contrat de rente viagère, dépourvu de tout aléa, se trouvait privé de cause et devait être annulé ». De même, dans un arrêt du 5 mai 1982 (pourvoi n°81-11821), la Cour de cassation a annulé pour défaut d’aléa un contrat de vente en viager au motif que le débirentier, qui gérait les biens du crédirentier et était en lien constant avec lui, « ne pouvait ignorer la grave affection dont ce dernier était atteint, notamment en raison des hospitalisations qu’elle avait provoquées et des soins continus qu’elle exigeait ». Un arrêt du 4 novembre 1980 (pourvoi n°79-11680) annulait une vente en viager, elle aussi sur le motif que « les acheteurs savaient quelle issue fatale était à redouter à bref délai ».
En revanche, comme le précisait un arrêt du 21 octobre 1969 (pourvoi n°68-11544), l’aléa ne se trouve pas supprimé par la seule existence d’une maladie même grave, dès lors que « la durée et l’évolution de la maladie étaient (...) imprévisibles et impossibles à déterminer avec certitude ». De même, un arrêt du 24 mars 1987 (pourvoi n°85-10286) a refusé d’annuler le contrat alors que le crédirentier paraissait en bonne santé et était sorti nettement amélioré suite à une hospitalisation.
Celui qui conteste la validité du contrat devra apporter la preuve de l’absence d’aléa. Comme le rappelait un arrêt du 13 novembre 2008 (pourvoi n°07-14662), le grand âge du crédirentier ne supprime pas à lui seul le caractère aléatoire d’une vente consentie contre le versement d’une rente viagère.
LE PRIX DE LA RENTE
Le Code civil fait preuve d’une grande liberté. En effet, l’article 1976 prévoit que « la rente viagère peut être constituée aux taux qu’il plaît aux parties contractantes de fixer ». Les parties déterminent donc librement le taux, les échéances, ou encore les modalités de paiement. Le viager sera généralement constitué de plusieurs dimensions.
Un droit d’usage ou de jouissance
Si un tel droit est prévu, on parle de viager occupé. Le crédirentier conserve le droit d’occuper le bien. Il est possible aussi d’avoir un viager libre, dans lequel le débirentier peut occuper le bien ou le mettre en location. Cela permet d’augmenter le bouquet ou la rente, par exemple pour une personne qui désire partir en maison de retraite et bénéficier d’un revenu régulier. Le viager peut aussi prévoir des obligations accessoires telles que des obligations de soins ou de nourriture.
Une rente
La rente est une somme d’argent qui est due par le débirentier au crédirentier selon des échéances régulières jusqu’au décès de ce dernier. Comme le rappelle un arrêt du 30 juin 1992 (pourvoi n°90-13075), l’obligation disparaît donc au décès du crédirentier. Le montant de la rente est généralement calculé en fonction de la valeur du bien, des taux financiers en vigueur et de l’espérance de vie du bénéficiaire. Il faut bien entendu déduire les autres avantages accordés tels qu’un droit d’usage ou un bouquet.
Un bouquet
Le bouquet est une somme d’argent versée au moment du contrat. Souvent, les parties stipulent un montant de bouquet égal au tiers du prix mais les parties sont libres dans la détermination du montant ou même de ne prévoir aucun bouquet, afin d’augmenter la rente.
L’exigence d’un prix suffisant
Si les parties sont libres de déterminer les conditions de leur accord, le montant versé ne doit pas être en totale disproportion avec la valeur du bien. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 21 octobre 2009 (pourvoi n°08-13843). Dans cette affaire, la Cour de cassation a annulé une vente dans laquelle la valeur de l’immeuble, compte tenu de sa composition et de son état, était de 140 000 euros alors que la valeur retenue dans l’acte pour déterminer la rente était de 42 000 euros. La Cour de cassation a ainsi décidé que ce montant « était dérisoire par rapport à la valeur de l’immeuble » et approuvé la Cour d’appel d’avoir décidé que « la vente était nulle pour défaut de prix ». De même, la Cour de cassation a décidé dans un arrêt du 31 janvier 1995 (pourvoi n°93-12572) qu’il était possible de constater la nullité d’une vente en viager pour défaut de prix sérieux. De manière générale, il appartient donc aux juges de vérifier l’équivalence entre le prix versé et la valeur du bien. Dans un arrêt du 7 juillet 2015 (pourvoi n°14-15871), la Cour de cassation a ainsi évalué la valeur de la rente viagère et de l’obligation de visite et de soins contractée par le débirentier pour retenir que « le prix convenu était réel et sérieux ». Les juges vont donc rechercher « si les modalités de paiement n’avaient pas pour conséquence de rendre dérisoire le montant de la rente réglé » (Cass 3ème civ 2 novembre 2011, pourvoi n°10-24354). L Cour de cassation reconnaît, dans un arrêt du 21 janvier 2015 (pourvoi n°13-25689), que « la constitution d’une rente viagère n’est pas valable si le montant des arrérages est inférieur ou égal aux revenus du bien aliéné, la vente étant alors dépourvue de tout aléa ». Un autre arrêt du 4 juillet 2007 confirme que l’appréciation du caractère sérieux du prix « se fait par comparaison entre le montant de la rente et les revenus calculés à partir de la valeur vénale au jour de la vente de l’immeuble grevé ». Un arrêt du 16 novembre 2010 (pourvoi n°09 – 17293) a annulé un contrat de viager stipulant une rente de 2000 francs alors que les revenus du bien s’élevaient à 3000 francs. Un autre du 27 mai 2010 (pourvoi n°09-65258) a également annulé un contrat dont la rente représentait le tiers du revenu de l’immeuble. De même, un arrêt du 2 novembre 2011 impose à la Cour d’appel de vérifier « si le montant des arrérages était inférieur ou égal aux revenus calculés à partir de la valeur vénale au jour de la vente de l’immeuble grevé ». Dans un arrêt du 1er mars 2011 (pourvoi n° 10-30123), la Cour de cassation s’est ainsi livrée à un véritable calcul. Elle a déduit que la déduction faite du bouquet, le montant de la rente viagère correspondrait à moins de 3% de la valeur réelle de l’immeuble et que le montant de cette rente était inférieur aux revenus de la propriété et des intérêts du capital qu’elle représentait. Les juges ont donc prononcé la nullité de la vente pour défaut de prix réel et sérieux. Le juge, pour déterminer la vileté du prix, prendra en compte tous les éléments. Ainsi, dans un arrêt du 22 mai 2012 (pourvoi n° 11-19430), la Cour de cassation a retenu qu’il n’y avait pas de vileté du prix dès lors que le débirentier avait assumé les charges locatives et la taxe foncière qui, selon le contrat, incombaient au crédirentier. De même, un autre arrêt du 20 septembre 2011 (pourvoi n° 1-21809) a constaté que « l’appartement présentait des dimensions particulières incompatibles avec un aménagement conventionnel et était situé dans un quartier de moyenne gamme, que le bénéficiaire de la rente avait effectué d’importants travaux de remise en état et que la rente annuelle était supérieure au montant des revenus locatifs de l’appartement, la cour d’appel en a souverainement déduit, que le prix présentait un caractère sérieux ».
Comme on peut le constater, la constitution d’un viager peut prendre des formes diverses. Chacune de ces modalités peut répondre à un besoin d’un propriétaire, acquéreur, bailleur ou copropriétaire client de l’agence. La maîtrise du fonctionnement du viager permet ainsi à l’agent immobilier d’apporter une réelle valeur ajoutée dans la gestion du patrimoine de ses clients.
LES MOTS DU VIAGER
· Crédirentier : Le vendeur, créditeur de la rente viagère
· Débirentier : L’acquéreur, débiteur de la rente viagère
· Arrérages : Somme d’argent échue ou à échoir versée périodiquement au créditeur d’une rente
· Bouquet : Somme d’argent versé au moment du contrat